« L’internet des objets industriels ou la fin du rationalisme ». Une bonne nouvelle pour la planète ?

Depuis les travaux de René Descartes au 17-ème siècle, les scientifiques et les ingénieurs sont guidés par l’approche cartésienne de la résolution de problèmes. La méthode également appelée rationalisme, utilise un processus systématique pour réduire les concepts à leurs composants les plus élémentaires. C’est une méthode d’analyse dite « top down » qui crée une série de boîtes noires, chacune associée à une fonction statique. Cette approche déterministe a créé le succès de la technologie occidentale.

La mécanique moderne, l’électronique ou la conception de logiciels sont principalement inspirés par ce paradigme de réductionnisme ou de simplification inspiré par Descartes.

Néanmoins, à l’ère de l’Internet des objets industriels, les modèles cartésiens semblent avoir atteint leur limite

Pourquoi Descartes ne parvient-il pas à modéliser le milieu naturel ?

Le modèle cartésien considère le monde physique comme la somme de systèmes clos. Des systèmes en états d’équilibre qui n’échangent ni matière ni énergie avec l’extérieur. Ce modèle est efficace lorsque l’on adresse des objets comme une tables, une chaise ou même un camion. Mais le modèle ne fonctionne plus aussi bien lorsque nous parlons de systèmes ouverts qui cohabitent ou échangent avec leur environnement.

Comme le décrit Edgar Morin dans son introduction à la pensée complexe [1], la plupart des systèmes dans le milieu natuwienrel ont un équilibre instable (steady state). Ils sont continuellement compensés par des flux extérieurs pour conserver leur état d’équilibre. C’est le cas par exemple de la flamme d’une bougie, du mouvement circulaire d’un tourbillon, ou bien de la régulation thermique des êtres vivants. Tous ces phénomènes sont des systèmes ouverts, ils échangent de l’énergie, de la matière ou de l’information avec leur environnement. Ces systèmes naturels sont en constante évolution, et ont la capacité de s’auto-adapter à de nouvelles conditions.

La méthode cartésienne peine à concevoir ce type de systèmes ouverts et donc à concevoir des machines qui permettent d’atteindre leurs performances.

“Wiener souligne les faiblesses de l’approche cartésienne, et introduit une innovation majeure : le ‘feedback link’.”

 

Dans les années 50 avec sa théorie cybernétique, le mathématicien Norbert Wiener [2] met à l’épreuve la pensée cartésienne. La cybernétique qui est la pierre angulaire de la robotique moderne permet d’intégrer la complexité des systèmes ouverts. En présentant sa théorie Wiener souligne les faiblesses de l’approche cartésienne et l’importance des modèles de système ouvert. Il présente une innovation majeure : le “feedback link” ou la « boucle de rétroaction » en français. Lorsqu’un système génère des changements dans son environnement, cette modification est réfléchie par une rétroaction qui induit un changement dans l’organisation de son propre système. Les boucles de rétroaction permettent aux systèmes ouverts de s’auto adapter de façon continue et donnent aux systèmes la possibilité de réguler leur propre comportement pour atteindre des performances optimales.

Le modèle cartésien ou la marge “de l’aveugle”

Dans la plupart des systèmes industriels actuels qui interagissent avec le milieu naturel, cette boucle de rétroaction n’est pas disponible. Elle nécessite en effet de capter et mesurer en continue des paramètres physiques souvent difficiles d’accès (humidité d’un sol, température, turbidité de l’eau, pH …). Le modèle traditionnel cartésien statique continue donc de s’imposer.
Pour pallier à cette absence de « feedback » provenant du milieu naturel les ingénieurs utilisent une solution de contournement. Des marges sont intégrées dans le modèle pour tenir compte d’éventuelles variations des conditions de fonctionnement. Par exemple, dans le réseau de gaz, le système introduit généralement dans les tuyaux une sur-pression de 30 % supérieure à la moyenne nécessaire pour s’assurer que, quelque soit les aléas de l’environnement, le gaz puisse être délivré à  l’utilisateur final. Cette marge aveugle introduite dans le réseau permet d’assurer la qualité de service, mais elle a un coût énergétique considérable.
L’utilisation de marges pour compenser l’absence d’une boucle de retour est devenue une pratique courante dans l’ingénierie des systèmes, elle permet à l’opérateur de se prémunir contre l’inattendu et assurer une qualité de service minimum. Le gaspillage de ressources produit par ces marges est considéré comme un coût nécessaire, requis pour maintenir le bon fonctionnement.
La plupart des systèmes de l’industrie ou de la ville utilisent ce type de marge, ce qui entraîne un gaspillage de ressources et une réduction des performances globales. C’est le cas pour les systèmes d’irrigation, la distribution de gaz et d’eau, la surveillance des infrastructures d’éclairage, l’oxygénation des bassins d’assainissement…
Il est montré qu’un système d’irrigation instrumenté en capteur d’humidité permet des gains de 30 % sur la consommation d’eau. Les 20 000 stations d’épuration en France pourraient réduire leur consommation énergétique de 20 à 30% en introduisant des sondes d’oxygène dans les bassins.  L’apprivoisement en produit d’assainissement des 100 000 cuves du réseau pourrait économiser 8000 tonnes de C02 par an s’il était connecté.

La véritable révolution de l’internet des objets est ici !

L’avènement de l’internet des objets offre à la cybernétique de Wiener une nouvelle jeunesse et donne aux scientifiques et aux ingénieurs une bonne raison d’endiguer le modèle cartésien et les marges gaspillées. Les millions de capteurs connectés capables de  sonder  l’environnement dans des conditions difficiles et éloignées, sont idéales pour créer des boucles de rétroaction même à très grande échelle. Ils permettent des améliorations spectaculaires dans la façon d’optimiser les performances des systèmes industriels et de gérer les ressources.

“L’IoT et ses millions de capteurs environnementaux annoncent la fin de Descartes et font de la cybernétique une réalité à large échelle.”

La véritable révolution de l’IoT est ici : les infrastructures des villes et de l’industrie peuvent toutes profiter des modèles cybernétiques et converger vers la juste consommation de ressource et la performance environnementale optimale.

Les capteurs environnementaux sur le terrain ajoutent une information « bottom-up » aux modèles.  Ils contribuent à l’optimisation de ressource mais permettent aussi d’anticiper des évènements inattendus. L’interopérabilité avec des sources de données, créé aussi un moyen efficace de traquer les externalités. Chaque élément du système devient autonome, le modèle devient dynamique, il a la capacité de s’auto-organiser comme le font l’ensemble des corps vivants.

La fin de Descartes

L’internet des objets industriels est essentiellement un moyen de connecter l’internet traditionnel avec le monde physique.
L’IdO pourrait mettre fin au paradigme réductionniste de Descartes. Il nous extrait d’un modèle centré sur l’objet qui considère des causalités linéaires (mêmes causes, mêmes effets) et qui montre ses limites. Il nous emmène vers un modèle centré sur la relation du système avec son environnement, qui considère des causalités rétroactives qui rendent possibles l’auto-organisation du modèle comme en sont capables les corps biologiques.

 

« L’avènement de l’internet des objets offre l’opportunité de la transition cybernétique au service de la transition écologique. »

 

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[1] Edgar Morin « Introduction to complex thought»

[2] Norbert Wiener « Cybernetics: or Control and Communication in the Animal and the Machine »

 

 

Francois Hamon CEO at GreenCityZen

About Greencityzen

GreenCityZen is a greentech pioneer in the industrial Internet of things (IoT) for industry and smart city. The HummBox is a continuous measurement solution for the monitoring of environmental data : from the sensor to the dashboard. Low energy devices, fast deployment and interoperabilty are strong assets to bring immediate benefits such as reduced costs of field trips, improved process performance and help to enrich service offerings.

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